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NOTICE.

corrections n’étaient plus possibles, peut-être même après la mort de Racine.

L’opinion de Boileau, ce juge excellent, était, on le voit, devenue justement le contre-pied de celle de Condé, à qui Pyrrhus ne semblait pas assez honnête homme. Elle se rapprochait peut-être de celle que l’épigramme attribue à Créqui :


Créqui dit que Pyrrhus aime trop sa maîtresse.


Racine, nous devons le reconnaître, a, dans sa préface, choisi pour sa défense le terrain où elle était le plus facile et le moins nécessaire : « J’avoue que Pyrrhus n’est pas assez résigné à la volonté de sa maîtresse, et que Céladon a mieux connu que lui le parfait amour. » Le point vraiment faible était où Boileau a fini par le voir ; et, quoi qu’en dise Racine, Pyrrhus avait un peu trop « lu nos romans. » Non, ce n’est pas là ce farouche fils d’Achille, tel que nous le font entrevoir Euripide et Virgile ; ce n’est pas ce brutal guerrier de l’âge héroïque, qui n’a jamais traité ses plus nobles esclaves qu’en concubines. On alléguerait en vain le cœur de l’homme qui ne change pas ; il est trop évident que si les passions sont au fond toujours semblables, leur expression varie suivant les mœurs des temps et des peuples. Mais il faut se placer au vrai point de vue du théâtre de Racine, et accepter le monde de convention, le monde presque tout idéal, où se meuvent ses créations. Si de tous les personnages d’Andromaque Pyrrhus est celui qui, par le plus visible anachronisme, soulève surtout des objections, il est cependant placé par le poëte dans un milieu où il ne manque pas de vérité relative ; et le condamner trop sévèrement serait condamner toute la pièce. La couleur de ce rôle en effet n’est pas sensiblement en désaccord avec celle des autres rôles. Toute cette tragédie antique est écrite sur un ton différent de celui de l’antiquité : on peut dire qu’elle est transposée ; et tel est sans nul doute, plus qu’on ne le croit souvent, la loi nécessaire de l’art. S’imagine-t-on que l’Andromaque et les Troyennes d’Euripide, quoiqu’elles aient conservé un accent très-sauvage, s’imagine-t-on que toutes les tragédies grecques en général et l’Énéide de Virgile, si on les compare avec les poèmes d’Homère qui en sont la source, ne soient pas transposées également ? Racine connaissait l’antiquité mieux que la plupart de