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NOTICE.

de tous ceux qui veulent se dévouer au théâtre[1]. » Il y a lieu de penser que, dans l’ensemble, le chef-d’œuvre fut loin d’être trahi par ses premiers interprètes.

On alla même jusqu’à prétendre (car c’était toujours, en pareil cas, le thème des détracteurs) qu’Andromaque devait surtout aux acteurs son éclatant succès. « Elle a besoin, disait Saint-Évremond[2], de grands comédiens, qui remplissent par l’action ce qui lui manque. » Ne croirait-on pas qu’il s’agit d’une pièce qui resterait froide et languissante, si elle n’était réchauffée par la passion des comédiens, d’une action dont le vide veut être dissimulé par le mouvement entraînant de la représentation théâtrale ? La vérité est, au contraire, que, tout en ayant ce caractère essentiel aux œuvres vraiment dramatiques de produire tout leur effet à la représentation, cette tragédie, si féconde en émouvantes péripéties, et d’un intérêt si puissant par elle-même, n’est guère moins admirée à la lecture, et qu’en tout temps elle a fait les grands acteurs, au lieu d’être faite par eux. Mais Saint-Évremond, engagé dans la cause de Corneille, était de ceux qui ne se résignaient pas à lui reconnaître un rival. Il est curieux de le voir, partagé entre sa passion et les avertissements plus justes de son sens droit, se débattre contre son involontaire admiration. On lui avait envoyé Andromaque avec Attila, joué la même année, quelques mois plus tôt[3]. « À peine ai-je eu le loisir, écrivait-il à M. de

  1. Tallemant des Réaux était plus favorable encore à Montfleury : il le jugeait supérieur à Floridor. « C’est, dit-il de ce dernier, un médiocre comédien, quoi que le monde en veuille dire… Montfleury, s’il n’étoit point si gras, et qu’il n’affectât point de montrer sa science, seroit un tout autre homme que lui. » (Historiettes, édition de MM. Monmerqué et P. Paris, M.DCCC.LVIII, tome VII, p. 176.) Il reste nécessairement beaucoup d’incertitude sur ce que nous devons penser aujourd’hui de ces anciens acteurs.
  2. Lettre à M. de Lionne. Œuvres de Saint-Évremond (édition d’Amsterdam, 1706), tome II, p. 286.
  3. L’impression d’Attila avait également devancé quelque peu celle d’Andromaque. L’Achevé d’imprimer de la tragédie de Corneille est du 20 novembre 1667 ; celui d’Andromaque n’est pas donné dans l’exemplaire de la première édition que nous avons eu sous les yeux ; mais cette édition porte la date de 1668. Le privilège accordé à