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NOTICE.

tout au moins au comencement du dix-septième ; il était donc bien vieux en 1667 pour jouer le rôle d’Oreste. À en juger par le portrait que Molière, qui était, il est vrai, son ennemi, nous a donné de lui, quelques années avant, dans l’Impromptu de Versailles, on aurait d’autres raisons encore de douter que ce rôle lui convînt parfaitement. Montfleury n’était pas de taille galante, mais « gros et gras comme quatre, entripaillé comme il faut, et d’une vaste circonférence. » Il appuyait sur le dernier vers d’une tirade, pour faire faire le brouhaha, et prenait un ton de démoniaque[1]. Un contemporain, Gabriel Gueret, nous paraît confirmer par son témoignage cette dernière critique de Molière. Dans le Parnasse réformé[2] il fait ainsi parler Montfleury lui-même : « J’ai usé tous mes poumons dans ces violents mouvements de jalousie, d’amour et d’ambition… Souvent je me suis vu obligé de lancer des regards terribles, de rouler impétueusement les yeux dans la tête comme un furieux, de donner de l’effroi par mes grimaces…, de crier comme un démoniaque, et par conséquent de démonter tous les ressorts de mon corps… » Il est à croire que Gueret dépeint ainsi Montfleury d’après le souvenir surtout du rôle d’Oreste : il écrivait son opuscule au commencement de 1668, lorsque ce comédien venait de mourir, dans le cours des représentations d’Andromaque, au mois de décembre 1667. Cette mort, selon lui, aurait été la suite des violents efforts qu’avait faits Montfleury dans les fureurs d’Oreste[3] : « Qui voudra savoir de quoi je suis mort, qu’il ne demande point si c’est de la fièvre, de l’hydropisie ou de la goutte ; mais qu’il sache que c’est d’Andromaque… Ce qui me fait le plus de dépit, c’est qu’Andromaque va devenir plus célèbre par la circonstance de ma mort, et que désormais il n’y aura plus de poëte qui ne veuille avoir l’honneur de crever un comédien en sa vie. » Les auteurs de l’Avertissement

  1. Impromptu de Versailles, scène I.
  2. Voyez p. 73-75 (édition de 1668. L’Achevé d’imprimer est du 7 février).
  3. « On assure que son ventre s’ouvrit ; il était si prodigieusement gros qu’il étoit soutenu par un cercle de fer. » (Mercure de France, mai 1738, p. 830.)