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ANDROMAQUE
HERMIONE.

Il est mort ?

ORESTE.

1495Il est mort ?Il expire ; et nos Grecs irrités
Ont lavé dans son sang ses infidélités.
Je vous l’avois promis ; et quoique mon courage
Se fît de ce complot une funeste image,
J’ai couru vers le temple, où nos Grecs dispersés
1500Se sont jusqu’à l’autel dans la foule glissés.
Pyrrhus m’a reconnu. Mais sans changer de face[1],
Il sembloit que ma vue excitât son audace.


    Vient de ce triste exploit vous céder tout l’éclat.
    Je ne m’attendois pas que le ciel en colère
    Pût, sans perdre mon fils, accroître ma misère,
    Et gardât à mes yeux quelque spectacle encor
    Qui fît couler mes pleurs pour un autre qu’Hector.
    Vous avez trouvé seule une sanglante voie
    De suspendre en mon cœur le souvenir de Troie.
    Plus barbare aujourd’hui qu’Achille et que son fils,
    Vous me faites pleurer mes plus grands ennemis ;
    Et ce que n’avoient pu promesse (a) ni menace,
    Pyrrhus de mon Hector semble avoir pris la place.
    Je n’ai que trop, Madame, éprouvé son courroux :
    J’aurois plus de sujet de m’en plaindre que vous.
    Pour dernière rigueur ton amitié cruelle,
    Pyrrhus, à mon époux me rendoit infidèle.
    Je t’en allois punir. Mais le ciel m’est témoin
    Que je ne poussois pas ma vengeance si loin ;
    Et sans verser ton sang, ni causer tant d’alarmes,
    Il ne t’en eût coûté peut-être que des larmes.
    herm. Quoi ? Pyrrhus est donc mort ? oreste. Oui, nos Grecs irrités
    [Ont lavé dans son sang ses infidélités.] (1668)


    — Cette scène, telle qu’elle est dans l’édition de 1668, a été réimprimée à la fin du troisième volume des Réflexions critiques de l’abbé du Bos (édition de 1732).

    (a) Les éditions de 1807, de 1808 et celle de M. Aimé-Martin substituent prière à promesse.

  1. Nous avons suivi la ponctuation de toutes les anciennes éditions. Geoffroy (1805) et après lui M. Aimé-Martin ont ponctué ce vers d’une manière toute différente, qui change le sens ; ils mettent une virgule avant les mots : « mais sans changer de face ; » deux points à la fin du vers. L’édition de 1807 (la Harpe) laisse le sens indécis : elle a une virgule avant mais, et une autre après face.