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ACTE V, SCÈNE II.
CLÉONE.

Que fait Pyrrhus ?Il est au comble de ses vœux,
Le plus fier des mortels, et le plus amoureux.
Je l’ai vu vers le temple, où son hymen s’apprête,
Mener en conquérant sa nouvelle conquête ;
1435Et d’un œil où brilloient sa joie et son espoir[1]
S’enivrer en marchant du plaisir de la voir,
Andromaque, au travers de mille cris de joie,
Porte jusqu’aux autels le souvenir de Troie :
Incapable toujours d’aimer et de haïr,
1440Sans joie et sans murmure elle semble obéir.

HERMIONE.

Et l’ingrat ? jusqu’au bout il a poussé l’outrage ?
Mais as-tu bien, Cléone, observé son visage ?
Goûte-t-il des plaisirs tranquilles et parfaits ?
N’a-t-il point détourné ses yeux vers le palais ?
1445Dis-moi, ne t’es-tu point présentée à sa vue ?
L’ingrat a-t-il rougi lorsqu’il t’a reconnue ?
Son trouble avouoit-il son infidélité ?
A-t-il jusqu’à la fin soutenu sa fierté ?

CLÉONE.

Madame, il ne voit rien. Son salut et sa gloire
1450Semble être avec vous sortis de sa mémoire.
Sans songer qui le suit, ennemis ou sujets.
Il poursuit seulement ses amoureux projets.
Autour du fils d’Hector il a rangé sa garde,
Et croit que c’est lui seul que le péril regarde.
1455Phœnix même en répond, qui l’a conduit exprès
Dans un fort éloigné du temple et du palais.
Voilà, dans ses transports, le seul soin qui lui reste.

  1. Var. Et d’un œil qui déjà dévoroit son espoir (a). (1668-76)

    (a). Subligny (Folle querelle, acte III, scène viii) s’était moqué de cette expression : un œil qui dévore un espoir. Mais il faut remarquer que Racine ne l’a pas changée avant l’édition de 1687.