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ACTE IV, SCÈNE V.

Pour aller dans ses bras rire de ma douleur.
Pleurante après son char vous voulez qu’on me voie ;
1330Mais, Seigneur, en un jour ce seroit trop de joie ;
Et sans chercher ailleurs des titres empruntés,
Ne vous suffit-il pas de ceux que vous portez ?
Du vieux père d’Hector la valeur abattue
Aux pieds de sa famille expirante à sa vue,
1335Tandis que dans son sein votre bras enfoncé
Cherche un reste de sang que l’âge avoit glacé ;
Dans des ruisseaux de sang Troie ardente plongée ;
De votre propre main Polyxène égorgée
Aux yeux de tous les Grecs indignés contre vous[1] :
1340Que peut-on refuser à ces généreux coups[2] ?

PYRRHUS.

Madame, je sais trop à quels excès de rage[3]
La vengeance d’Hélène emporta mon courage[4] :
Je puis me plaindre à vous du sang que j’ai versé ;
Mais enfin je consens d’oublier le passé.
1345Je rends grâces au ciel que votre indifférence
De mes heureux soupirs m’apprenne l’innocence.
Mon cœur, je le vois bien, trop prompt à se gêner,
Devoit mieux vous connoître et mieux s’examiner.
Mes remords vous faisoient une injure mortelle ;
1350Il faut se croire aimé pour se croire infidèle.
Vous ne prétendiez point m’arrêter dans vos fers :
J’ai craint de vous trahir, peut-être je vous sers.
Nos cœurs n’étoient point faits dépendants l’un de l’autre ;

    Chargé de tant d’honneur, il veut qu’on le renvoie ?
    [Mais, Seigneur, en un jour ce seroit trop de joie.] (1668-76)

  1. On peut voir, dans l’Hecube d’Euripide (vers 517-566), le récit de la mort de Polyxène, égorgée par Pyrrhus sur le tombeau d’Achille.
  2. La même expression se trouve dans l’Horace de Corneille (vers 1338) :

    Ou si tu n’es point las de ces généreux coups.

  3. Var. Madame, je sais trop à quel excès de rage. (1668-76)
  4. Var. L’ardeur de vous venger emporta mon courage. (1668 et 73)