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ANDROMAQUE
ORESTE.

Mais, Madame, songez…

HERMIONE.

Mais, Madame, songez…Ah ! c’en est trop, Seigneur.
Tant de raisonnements offensent ma colère[1].
J’ai voulu vous donner les moyens de me plaire,
1235Rendre Oreste content ; mais enfin je vois bien
Qu’il veut toujours se plaindre, et ne mériter rien.
Partez : allez ailleurs vanter votre constance,
Et me laissez ici le soin de ma vengeance.
De mes lâches bontés mon courage est confus,
1240Et c’est trop en un jour essuyer de refus.
Je m’en vais seule au temple, où leur hymen s’apprête,
Où vous n’osez aller mériter ma conquête.
Là, de mon ennemi je saurai m’approcher :
Je percerai le cœur que je n’ai pu toucher ;
1245Et mes sanglantes mains, sur moi-même tournées[2],
Aussitôt, malgré lui, joindront nos destinées ;
Et tout ingrat qu’il est, il me sera plus doux
De mourir avec lui que de vivre avec vous.

  1. Dans la scène iv de l’acte III de Cinna, Émilie dit à Cinna :

    Je vois ton repentirIl suffit, je t’entends ;
    Je vois ton repentir et tes vœux inconstants…
    Sans emprunter ta main pour servir ma colère,
    Je saurai bien venger mon pays et mon père…
    Mes jours avec les siens se vont précipiter,
    Puisque ta lâcheté n’ose me mériter.
    Viens me voir dans son sang et dans le mien baignée.


    En comparant les deux scènes, on trouvera entre elles des rapports frappants, mais plutôt pour les idées que pour l’expression.

  2. Vers la fin de la même scène de Cinna :

    Mais ma main, aussitôt contre mon sein tournée,
    Aux mânes d’un tel prince immolant votre amant,
    À mon crime forcé joindra mon châtiment.


    Ici, au contraire, c’est pour l’expression seulement que ces vers, prononcés par Cinna, non par Émilie, peuvent être rapprochés de ceux de Racine.