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ANDROMAQUE

Ah ! courez, et craignez que je ne vous rappelle.
1175N’alléguez point des droits que je veux oublier ;
Et ce n’est pas à vous à le justifier.

ORESTE.

Moi, je l’excuserois ? Ah ! vos bontés, Madame,
Ont gravé trop avant ses crimes dans mon âme.
Vengeons-nous, j’y consens, mais par d’autres chemins.
1180Soyons ses ennemis, et non ses assassins :
Faisons de sa ruine une juste conquête.
Quoi ? pour réponse aux Grecs porterai-je sa tête ?
Et n’ai-je pris sur moi le soin de tout l’État
Que pour m’en acquitter par un assassinat ?
1185Souffrez, au nom des Dieux, que la Grèce s’explique,
Et qu’il meure chargé de la haine publique.
Souvenez-vous qu’il règne, et qu’un front couronné…

HERMIONE.

Ne vous suffit-il pas que je l’ai condamné ?
Ne vous suffit-il pas que ma gloire offensée
1190Demande une victime à moi seule adressée ;
Qu’Hermione est le prix d’un tyran opprimé ;
Que je le hais ; enfin, Seigneur, que je l’aimai[1] ?
Je ne m’en cache point : l’ingrat m’avoit su plaire,
Soit qu’ainsi l’ordonnât mon amour ou mon père.
1195N’importe ; mais enfin réglez-vous là-dessus.
Malgré mes vœux, Seigneur, honteusement déçus,
Malgré la juste horreur que son crime me donne,
Tant qu’il vivra craignez que je ne lui pardonne.
Doutez jusqu’à sa mort d’un courroux incertain :
1200S’il ne meurt aujourd’hui, je puis l’aimer demain.

ORESTE.

Hé bien ! il faut le perdre, et prévenir sa grâce ;

  1. Ce mot est écrit aimé dans l’édition de 1697. Les précédentes portent aimay ou aimai. Voyez plus haut (p. 56) la note du vers 320.