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ANDROMAQUE

Céphise, il fera plus qu’il n’a promis de faire.
Sur le courroux des Grecs je m’en repose encor :
Leur haine va donner un père au fils d’Hector.
Je vais donc, puisqu’il faut que je me sacrifie,
1090Assurer à Pyrrhus le reste de ma vie ;
Je vais, en recevant sa foi sur les autels,
L’engager à mon fils par des nœuds immortels.
Mais aussitôt ma main, à moi seule funeste,
D’une infidèle vie abrégera le reste,
1095Et sauvant ma vertu, rendra ce que je doi
À Pyrrhus, à mon fils, à mon époux, à moi.
Voilà de mon amour l’innocent stratagème ;
Voilà ce qu’un époux m’a commandé lui-même.
J’irai seule rejoindre Hector et mes aïeux.
1100Céphise, c’est à toi de me fermer les yeux.

CÉPHISE.

Ah ! ne prétendez pas que je puisse survivre[1]

ANDROMAQUE.

Non, non, je te défends, Céphise, de me suivre.
Je confie à tes soins mon unique trésor :
Si tu vivois pour moi, vis pour le fils d’Hector.
1105De l’espoir des Troyens seule dépositaire,
Songe à combien de rois tu deviens nécessaire.
Veille auprès de Pyrrhus ; fais-lui garder sa foi :
S’il le faut, je consens qu’on lui parle de moi[2].
Fais-lui valoir l’hymen où je me suis rangée ;
1110Dis-lui qu’avant ma mort je lui fus engagée,
Que ses ressentiments doivent être effacés,
Qu’en lui laissant mon fils, c’est l’estimer assez.
Fais connoître à mon fils les héros de sa race ;
Autant que tu pourras, conduis-le sur leur trace.

  1. Telle est la ponctuation de l’édition de 1676 et des suivantes. Les deux premières (1668 et 1673) n’ont qu’un point à la fin du vers.
  2. Var. S’il le faut, je consens que tu parles de moi. (1668-76)