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ACTE IV, SCÈNE I.

Désormais à vos yeux ne soit plus défendue.
Vous lui pourrez bientôt prodiguer vos bontés,
Et vos embrassements ne seront plus comptés.
Quel plaisir d’élever un enfant qu’on voit craître[1],
1070Non plus comme un esclave élevé pour son maître,
Mais pour voir avec lui renaître tant de rois[2] !

ANDROMAQUE.

Céphise, allons le voir pour la dernière fois.

CÉPHISE.

Que dites-vous ? ô Dieux !

ANDROMAQUE.

Que dites-vous ? ô Dieux !Ô ma chère Céphise,
Ce n’est point avec toi que mon cœur se déguise,
1075Ta foi, dans mon malheur, s’est montrée à mes yeux ;
Mais j’ai cru qu’à mon tour tu me connoissois mieux.
Quoi donc ? as-tu pensé qu’Andromaque infidèle
Pût trahir un époux qui croit revivre en elle ;
Et que de tant de morts réveillant la douleur,
1080Le soin de mon repos me fît troubler le leur ?
Est-ce là cette ardeur tant promise à sa cendre[3] ?
Mais son fils périssoit : il l’a fallu défendre.
Pyrrhus en m’épousant s’en déclare l’appui ;
Il suffit : je veux bien m’en reposer sur lui.
1085Je sais quel est Pyrrhus. Violent, mais sincère,

  1. Toutes les éditions imprimées du vivant de Racine ont, dans ce vers, craistre, et non croistre. On prononçait encore craître. Geoffroy n’aurait donc pas dû dire ici : « Croître et maître ne riment ni à l’œil ni à l’oreille. »
  2. Hécube, dans les Troyennes d’Euripide (vers 707-713), donne à Andromaque de semblables conseils :

    Τίμα δὲ τὸν παρόντα δεσπότην σέθεν,…
    Κἂν δρᾷς τάδ', · · · · · · · · · · · ·
    · · · παῖδα τόνδε παιδὸς ἐκθρέψειας ἂν
    Τροίᾳ μέγιστον ὠφέλημ', ἵν' εἴ ποτε
    Έκ σοῦ γενόμενοι παῖδες Ἴλιον πάλιν
    Κατοικίσειαν, καὶ πόλις γένοιτ' ἔτι.

  3. Non servata fides cineri promissa Sichæo.

    (Virgile, Énéide, livre IV, vers 552.)