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POÉSIES DIVERSES.

LE PAYSAGE,

ou

PROMENADE

DE PORT-ROYAL DES CHAMPS.

ODE PREMIÈRE.

LOUANGE DE POHT-BOYAL EN GÉNÉBAL.

Saintes demeures du silence , Lieux pleins de charmes et d’attraits , Port où , dans le sein de la paix , Règne la grâce et l’innocence ; Beaux déserts qu’à l’envi des cieux, De ses trésors plus précieux

A comblé la nature , Quelle assez brillante couleur

Peut tracer la peinture De votre adorable splendeur ?

Les moins éclatantes merveilles De ces plaines ou de ces bois Pourraient-elles pas mille fois Épuiser les plus doctes veilles ? Le soleil voit-il dans son cours Quelque" si superbe séjour

Qui ne vous rende hommage ? Et l’art des plus riches cités

A-t-il la moindre image De vos naturelles beautés ?

Je sais que ces grands édifices

Que s’élève la vanité ,

Ne souillent point la pureté

De vos innocentes délices.

Non , vous n’offrez point à nos yeux

Ces tours qui jusque dans les cieux

Semblent porter la guerre, Et qui se perdant dans les airs,

Vont encor sous la terre Se perdre dedans les enfers.

Tous ces bâtiments admirables, Ces palais partout si vantés , Et qui sont comme cimentés Du sang des peuples misérables ; Enfin, tous ces augustes lieux , Qui semblent faire autant de dieux

De leurs maîtres superbes , Un jour trébuchant avec eux ,

Ne seront sur les herbes Que de grands sépulcres affreux.

Mais toi , solitude féconde ,

Tu n’as rien que de saints attraits,

Qui ne s’effaceront jamais

Que par l’écroulement du monde :

L’on verra l’émail de tes champs

Tant que la nuit de diamants

Sèmera l’hémisphère ; Et tant que l’astre des saisons

Dorera sa carrière, L’on verra l’or de tes moissons.

Que si , parmi tant de merveilles , Nous ne voyons point ces beaux ronds , Ces jets où l’onde , par ses bonds , Charme les yeux et les oreilles , Ne voyons-nous pas , dans tes prés , Se rouler sur des lits dorés

Cent flots d’argent liquide , Sans que le front du laboureur

A leur course rapide Joigne les eaux de sa sueur ?

La nature est inimitable ; Et quand elle est en liberté , Elle brille d’une clarté Aussi douce que véritable. C’est elle qui sur ces vallons , Ces bois , ces prés et ces sillons ,

Signale sa puissance ; C’est elle par qui leurs beautés ,

Sans blesser l’innocence , Rendent nos yeux comme enchantés.