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ATHALIE.

Je quitterais ! et pour… Eh bien ?

JOAS.

Je quitterais ! et pour… Eh bien ? Pour quelle mère !

ATHALIE, à Josabeth.

Sa mémoire est fidèle ; et dans tout ce qu’il dit,
De vous et de Joad je reconnais l’esprit.
Voilà comme, infectant cette simple jeunesse,
Vous employez tous deux le calme où je vous laisse.
Vous cultivez déjà leur haine et leur fureur ;
Vous ne leur prononcez mon nom qu’avec horreur.

JOSABETH.

Peut-on de nos malheurs leur dérober l’histoire ?
Tout l’univers les sait ; vous-même en faites gloire.

ATHALIE.

Oui, ma juste fureur, et j’en fais vanité,
A vengé mes parents sur ma postérité.
J’aurais vu massacrer et mon père et mon frère,
Du haut de son palais précipiter ma mère,
Et dans un même jour égorger à la fois
(Quel spectacle d’horreur !) quatre-vingts fils de rois :
Et pourquoi ? pour venger je ne sais quels prophètes
Dont elle avait puni les fureurs indiscrètes :
Et moi, reine sans cœur, fille sans amitié,
Esclave d’une lâche et frivole pitié,
Je n’aurais pas du moins à cette aveugle rage
Rendu meurtre pour meurtre, outrage pour outrage,
Et de votre David traité tous les neveux
Comme on traitait d’Achab les restes malheureux !
Où serais-je aujourd’hui si, domptant ma faiblesse,
Je n’eusse d’une mère étouffé la tendresse ;
Si de mon propre sang ma main versant des flots
N’eût par ce coup hardi réprimé vos complots ?
Enfin de votre Dieu l’implacable vengeance
Entre nos deux maisons rompit toute alliance :
David m’est en horreur ; et les fils de ce roi,
Quoique nés de mon sang, sont étrangers pour moi.

JOSABETH.

Tout vous a réussi. Que Dieu voie, et nous juge.

ATHALIE.

Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,
Que deviendra l’effet de ses prédictions ?
Qu’il vous donne ce roi promis aux nations,
Cet enfant de David, votre espoir, votre attente…
Mais nous nous reverrons. Adieu. Je sors contente :
J’ai voulu voir ; j’ai vu.

ABNER, à Josabeth.

J’ai voulu voir, j’ai vu. Je vous l’avais promis :
Je vous rends le dépôt que vous m’avez commis.


Scène VIII.

JOAS, JOAD, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, ABNER, lévites, le chœur.
JOSABETH, à Joad.

Avez-vous entendu cette superbe reine,
Seigneur ?

JOAD.

Seigneur ? J’entendais tout, et plaignais votre peine.
Ces lévites et moi, prêts à vous secourir,
Nous étions avec vous résolus de périr.

(à Joas, en l’embrassant.)
Que Dieu veille sur vous, enfant dont le courage

Vient de rendre à son nom ce noble témoignage.
Je reconnais, Abner, ce service important :
Souvenez-vous de l’heure où Joad vous attend.
Et nous, dont cette femme impie et meurtrière
A souillé les regards et troublé la prière,
Rentrons ; et qu’un sang pur, par mes mains épanché,
Lave jusques au marbre où ses pas ont touché.


Scène IX.

LE CHŒUR.
UNE DES FILLES DU CHŒUR.

Quel astre à nos yeux vient de luire ?
Quel sera quelque jour cet enfant merveilleux ?
Il brave le faste orgueilleux,
Et ne se laisse point séduire
À tous ses attraits périlleux.

UNE AUTRE.

Pendant que du dieu d’Athalie
Chacun court encenser l’autel,
Un enfant courageux publie
Que Dieu lui seul est éternel,
Et parle comme un autre Élie
Devant cette autre Jézabel.

UNE AUTRE.

Qui nous révélera ta naissance secrète,
Cher enfant ? Es-tu fils de quelque saint prophète ?

UNE AUTRE.

Ainsi l’on vit l’aimable Samuel
Croître à l’ombre du tabernacle :
Il devint des Hébreux l’espérance et l’oracle.
Puisses-tu, comme lui, consoler Israël !

UNE AUTRE.

Ô bienheureux mille fois
L’enfant que le Seigneur aime,
Qui de bonne heure entend sa voix,
Et que ce Dieu daigne instruire lui-même !
Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux
Il est orné dès sa naissance ;