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ATHALIE,


TRAGÉDIE. — 1691.




PRÉFACE.

Tout le monde sait que le royaume de Juda était composé des deux tribus de Juda et de Benjamin, et que les dix autres tribus qui se révoltèrent contre Roboam composaient le royaume d’Israël. Comme les rois de Juda étaient de la maison de David, et qu’ils avaient dans leur partage la ville et le temple de Jérusalem, tout ce qu’il y avait de prêtres et de lévites se retirèrent auprès d’eux, et leur demeurèrent toujours attachés : car depuis que le temple de Salomon fut bâti, il n’était plus permis de sacrifier ailleurs ; et tous ces autres autels qu’on élevait à Dieu sur des montagnes, appelés par cette raison dans l’Écriture les hauts lieux, ne lui étaient point agréables. Ainsi le culte légitime ne subsistait plus que dans Juda. Les dix tribus, excepté un très-petit nombre de personnes, étaient ou idolâtres ou schismatiques.

Au reste, ces prêtres et ces lévites faisaient eux-mêmes une tribu fort nombreuse. Ils furent partagés en diverses classes pour servir tour à tour dans le temple, d’un jour de sabbat à l’autre. Les prêtres étaient de la famille d’Aaron ; et il n’y avait que ceux de cette famille lesquels pussent exercer la sacrificature. Les lévites leur étaient subordonnés, et avaient soin, entre autres choses, du chant, de la préparation des victimes, et de la garde du temple. Ce nom de lévite ne laisse pas d’être donné quelquefois indifféremment à tous ceux de la tribu. Ceux qui étaient en semaine avaient, ainsi que le grand prêtre, leur logement dans les portiques ou galeries dont le temple était environné, et qui faisaient partie du temple même. Tout l’édifice s’appelait en général le lieu saint : mais on appelait plus particulièrement de ce nom cette partie du temple intérieur où étaient le chandelier d’or, l’autel des parfums, et les tables des pains de proposition ; et cette partie était encore distinguée du Saint des saints, où était l’arche, et où le grand prêtre seul avait droit d’entrer une fois l’année. C’était une tradition assez constante que la montagne sur laquelle le temple fut bâti était la même montagne où Abraham avait autrefois offert en sacrifice son fils Isaac.

J’ai cru devoir expliquer ici ces particularités, afin que ceux à qui l’histoire de l’Ancien Testament ne sera pas assez présente, n’en soient point arrêtés en lisant cette tragédie. Elle a pour sujet Joas reconnu et mis sur le trône : et j’aurais dû, dans les règles, l’intituler Joas ; mais la plupart du monde n’en ayant entendu parler que sous le nom d’Athalie, je n’ai pas jugé à propos de la leur présenter sous un autre titre, puisque d’ailleurs Athalie y joue un personnage si considérable, et que c’est sa mort qui termine la pièce. Voici une partie des principaux événements qui devancèrent cette grande action.

Joram, roi de Juda, fils de Josaphat, et le septième roi de la race de David, épousa Athalie, fille d’Achab et de Jézabel, qui régnaient en Israël, fameux l’un et l’autre, mais principalement Jézabel, par leurs sanglantes persécutions contre les prophètes[1]. Athalie, non moins impie que sa mère, entraîna bientôt le roi son mari dans l’idolâtrie, et fit même construire dans Jérusalem un temple à Baal, qui était le dieu du pays de Tyr et de Sidon, où Jézabel avait pris naissance. Joram, après avoir vu périr par les mains des Arabes et des Philistins tous les princes ses enfants, à la réserve d’Ochozias, mourut lui-même misérablement d’une longue maladie qui lui consuma les entrailles. Sa mort funeste n’empêcha pas Ochozias d’imiter son impiété et celle d’Athalie sa mère. Mais ce prince, après avoir régné seulement un an, étant allé rendre visite au roi d’Israël, frère d’Athalie, fut enveloppé dans la ruine de la maison d’Achab, et tué par l’ordre de Jéhu, que Dieu avait fait sacrer par ses prophètes pour régner sur Israël, et pour être le ministre de ses vengeances. Jéhu extermina toute la postérité d’Achab, et fit jeter par les fenêtres Jézabel, qui, selon la prédiction d’Élie, fut mangée des chiens dans la vigne de ce même Naboth qu’elle avait fait mourir autrefois pour s’emparer de son héritage. Athalie ayant appris à Jérusalem tous ces massacres, entreprit de son côté d’éteindre entièrement la race royale de David, en faisant mourir tous les enfants d’Ochozias, ses petits-fils. Mais heureusement Josabeth, sœur d’Ochozias, et fille de Joram, mais d’une autre mère qu’Athalie, étant arrivée lorsqu’on égorgeait les princes ses neveux, elle trouva moyen de dérober du milieu des morts le petit Joas encore à la mamelle, et le confia avec sa nourrice au grand prêtre son mari, qui les cacha tous deux dans le temple, où l’enfant fut élevé secrètement jusqu’au jour qu’il fut proclamé roi de Juda. L’histoire des Rois dit que ce fut la septième année d’après. Mais le texte grec des Paralipomènes, que Sévère Sulpice[2] a suivi, dit que ce fut la huitième. C’est ce qui m’a autorisé à donner à ce prince neuf à dix ans, pour le mettre

  1. Il n’est point indifférent d’observer ici que le père d’Athalie n’était point de la race de David : car il s’ensuit qu’Athalie, sa petite-fille, ne pouvait être regardée par les Juifs que comme une personne fort étrangère à la succession de leurs rois. (L. B.)
  2. J’ignore pourquoi Racine a transposé les noms de cet historien ecclésiastique ; on le nomme ordinairement Sulpice Sévère. On lui doit un Abrégé de l’histoire sacrée et ecclésiastique, depuis