Scène IV.
Je vous cherchais, seigneur. Un peu de violence
M’a fait de vos raisons combattre la puissance,
Je l’avoue ; et depuis que je vous ai quitté,
J’en ai senti la force et connu l’équité.
J’ai songé, comme vous, qu’à la Grèce, à mon père,
À moi-même, en un mot, je devenais contraire ;
Que je relevais Troie, et rendais imparfait
Tout ce qu’a fait Achille, et tout ce que j’ai fait.
Je ne condamne plus un courroux légitime ;
Et l’on vous va, seigneur, livrer votre victime.
Seigneur, par ce conseil prudent et rigoureux,
C’est acheter la paix du sang d’un malheureux.
Oui : mais je veux, seigneur, l’assurer davantage :
D’une éternelle paix Hermione est le gage ;
Je l’épouse. Il semblait qu’un spectacle si doux
N’attendît en ces lieux qu’un témoin tel que vous :
Vous y représentez tous les Grecs et son père,
Puisqu’en vous Ménélas voit revivre son frère.
Voyez-la donc. Allez. Dites-lui que demain
J’attends avec la paix son cœur de votre main.
Ah dieux !
Scène V.
Tes yeux refusent-ils encor de me connaître !
Ah ! je vous reconnais ; et ce juste courroux,
Ainsi qu’à tous les Grecs, seigneur, vous rend à vous.
Ce n’est plus le jouet d’une flamme servile,
C’est Pyrrhus, c’est le fils et le rival d’Achille,
Que la gloire à la fin ramène sous ses lois,
Qui triomphe de Troie une seconde fois.
Dis plutôt qu’aujourd’hui commence ma victoire :
D’aujourd’hui seulement je jouis de ma gloire ;
Et mon cœur, aussi fier que tu l’as vu soumis,
Croit avoir en l’amour vaincu mille ennemis.
Considère, Phœnix, les troubles que j’évite,
Quelle foule de maux l’amour traîne à sa suite,
Que d’amis, de devoirs, j’allais sacrifier !
Quels périls… un regard m’eût tout fait oublier :
Tous les Grecs conjurés fondaient sur un rebelle,
Je trouvais du plaisir à me perdre pour elle.
Oui, je bénis, seigneur, l’heureuse cruauté
Qui vous rend…
Je pensais, en voyant sa tendresse alarmée,
Que son fils me la dût renvoyer désarmée :
J’allais voir le succès de ses embrassements ;
Je n’ai trouvé que pleurs mêlés d’emportements.
Sa misère l’aigrit ; et, toujours plus farouche,
Cent fois le nom d’Hector est sorti de sa bouche.
Vainement à son fils j’assurais mon secours ;
« C’est Hector, disait-elle en l’embrassant toujours,
« Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace ;
« C’est lui-même, c’est toi, cher époux, que j’embrasse. »
Hé ! quelle est sa pensée ? attend-elle en ce jour
Que je lui laisse un fils pour nourrir son amour ?
Sans doute, c’est le prix que vous gardait l’ingrate.
Mais laissez-la, seigneur.
Sa beauté la rassure ; et malgré mon courroux,
L’orgueilleuse m’attend encore à ses genoux.
Je la verrais aux miens, Phœnix, d’un œil tranquille.
Elle est veuve d’Hector, et je suis fils d’Achille :
Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus.
Commencez donc, seigneur, à ne m’en parler plus.
Allez voir Hermione ; et content de lui plaire,
Oubliez à ses pieds jusqu’à votre colère.
Vous-même à cet hymen venez la disposer :
Est-ce sur un rival qu’il s’en faut reposer ?
Il ne l’aime que trop.
Qu’Andromaque en son cœur n’en sera pas jalouse ?
Quoi ! toujours Andromaque occupe votre esprit !
Que vous importe, ô dieux, sa joie ou son dépit ?
Quel charme, malgré vous, vers elle vous attire ?
Non, je n’ai pas bien dit tout ce qu’il lui faut dire :
Ma colère à ses yeux n’a paru qu’à demi ;
Elle ignore à quel point je suis son ennemi.
Retournons-y. Je veux la braver à sa vue,
Et donner à ma haine une libre étendue.
Viens voir tous ses attraits, Phœnix, humiliés.
Allons.
Allez, en lui jurant que votre âme l’adore,
À de nouveaux mépris l’encourager encore.