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rougeurs au visage, quand il préparait le discours à faire pour offrir cette fortune lentement fabriquée de ses peines. Il comptait acheter des rentes, négocier, calculer ; tout un trafic de vieux encombrant sa jeunesse à l’âge des passions.

Nono n’avait pas de passion. Nono, adorable et naïf jusqu’au ridicule, ne connaissait pas les femmes. Nono aimait sa Lilie, Lilie en robe montante, voilà tout ! Un trait d’acier enfoncé dans une écorce de chêne.

Il n’avait pas le temps, lui, et, d’ailleurs, un de ses camarades de collège était mort d’avoir trop vécu. Nono, voulant vivre pour Lilie, s’était juré qu’il ne vivrait qu’un peu… et il appelait vivre un peu ne pas vivre du tout. Comment aurait-on ri de sa sagesse ? Il n’était pas un Adonis. Puis, très entêté, il aurait laissé rire. Quand le général lui offrit un jour de sortie, il songea que le temps du collège, revenait, et remercia pour sa mère. Le général tordit sa moustache. Bruno rentra à la nuit tombante.

— Mais, animal, tu pouvais prendre la permission de dix heures, au moins, fit le Sabreur, stupéfait. »

Nono rougit prodigieusement.

— Je n’ai pas de ces habitudes-là. »

M. Fayor, les bras écartés, considéra son secrétaire, puis il eut un éclat de rire colossal.

— Ma foi, je comprends ! Elles ne veulent pas de toi, tu es trop laid. »

Alors Nono dissimula une larme sous ses cheveux épars. Nono sentait qu’il disait vrai, ce butor. Être