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bauché peut-être, car il faut être débauché pour exposer un innocent à de pareilles épreuves, un professeur désigna une demoiselle pour donner le prix de version latine à Bruno. Bruno avait été déjà couronné cinq fois. Monsieur l’aumônier, monsieur le proviseur, et la maman et la petite sœur…, tout le monde y avait passé. Bruno, boudeur, mal sanglé dans sa tunique de collégien qui mue, alla droit à cette demoiselle, et, l’air gauche, il se mit à genoux. Les parents riaient de le voir tout drôle. Puis il leva les yeux pendant qu’elle lui posait sur la tête sa couronne en feuilles de papier verni.

Coup du sort ! Elle était gentille, un peu maigre, quatorze ans, une robe de mousseline avec une guimpe plissée à l’ange, un regard bleu faïence, mais si fin, si délicieusement fin ! des nattes d’un blond de blé, un front transparent et toute drôle, aussi, comme une écolière. Elle rougit, il rougit sans savoir. Ce fut épouvantable. Il revint, chancelant sous sa couronne posée de travers, et tomba affolé sur son banc. Les gens de la ville n’avaient rien vu.

On aime vite par le beau midi en feu. Bruno aima Mlle Amélie Névasson, fille d’un petit marchand de toile, rue des Trois-Couvents. Cela dura un an sans aveux. Il arriva une partie de campagne (encore un coup du sort !) où il tomba une averse. Bruno, mêlé incidemment à cette partie de campagne, poussa l’amabilité jusqu’à tenir le parapluie de Mlle Névasson. Au crépuscule, on s’appelait Lilie et Nono, on se promit une fidélité inviolable.