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dant. L’apparition de Renée ne changea guère les esprits. Elle était devenue très pâle ; ses yeux, d’un sombre intense, avaient comme une rage couvante. On mit cela sur le compte de la source qu’on ne trouvait pas. Le général commença à humer son potage en imitant le bruit et le mouvement d’un étalon à l’abreuvoir. L’architecte essayait de prendre l’air dégagé. Bruno méditait péniblement un mauvais coup. Renée avait passé une jupe de lainage blanc et endossé une cuirasse merveilleuse de forme, en velours noir, assorti à sa chambre. Cette cuirasse, ouverte à la Médicis, laissait voir l’attache d’un cou d’une grâce ravissante. Bruno, qui était au bout de la table, ainsi qu’il convient à un humble secrétaire, n’osait plus lever les yeux. À l’horreur de Mélibar se joignait pour lui l’horreur des femmes décolletées, et il pensait que, vraiment, dans cette damnée maison, aucun chagrin ne lui serait épargné.

— Mais sacrebleu ! tonna le général dans le silence du dessert, on aura de l’eau ou je ferai percer la roche elle-même !

— Certainement, ajouta l’architecte ; je parie de trouver bientôt un verre d’eau assez pure pour l’offrir à Mademoiselle.

— Oui, mon général, répondit Bruno, tressaillant à l’idée qu’on allait lui poser une question embarrassante. »

Renée parut sortir d’un rêve douloureux.

— Ah ! oui, de l’eau… et que voulez-vous que cela me fasse ? »