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— Et depuis quand dois-je rendre des comptes à mademoiselle ma fille ? »

Le général se croisa les bras et devint cramoisi. Son thorax se gonfla sous les brandebourgs de son veston.

Nono, pour se donner une contenance, se mit en devoir de réunir tout le début du discours et s’aperçut avec épouvante que Renée était assise dessus.

— Eh ! mon cher père, je vous empêcherais de faire une grosse bêtise, si vous vouliez m’écouter ! »

Le général passa au vert myrthe.

— À telles enseignes, mademoiselle, que je réunis le Comité républicain ici, au château de Tourtoiranne, dans ma salle à manger, et que je voulais vous prévenir ce matin de faire nettoyer le surtout d’argent, le lustre, la vaisselle, tout l’apparat, enfin !… Trente-six mille diables !

— Miséricorde ! reprit Renée jouant l’effroi… de la vaisselle plate à des républicains, quand déjà les royalistes se plaignent du luxe de leurs rivaux. D’abord, je ne suis pas républicaine et je me moque comme d’un pois chiche des comités.

— Prendriez-vous, par hasard, votre père pour un pois chiche, mademoiselle ? s’écria le général cherchant des yeux une vitre à briser.

— Non, vraiment, car il est beaucoup plus gros ! répliqua audacieusement Renée. »

Nono pensa à part lui, que « plus gros qu’un pois chiche » valait plusieurs pois chiches quant à la proportion de l’injure, mais il toussa discrètement.