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émergèrent des grenouilles émeraudes, étonnées de ce trouble, et Mélibar plongea et s’engloutit pour l’éternité.

À ce moment, Miss Bell, anxieuse, vint se blottir dans la jupe traînante de Renée, ayant l’air d’implorer sa grâce. Mlle Fayor était parvenue à se lever. Elle balbutia, désespérée :

— Ah ! que ne suis-je morte avec mon malheureux cheval ! »

L’homme se demandait s’il avait affaire à une folle.

— Mais, Mademoiselle, c’est lui qui vous a emportée, et il trouve la juste récompense de son exploit. Calmez-vous, je vous en conjure. Êtes-vous blessée ? Laissez-moi vous soutenir ! »

Il l’entoura de ses bras, car elle chancelait ; il sentait qu’elle avait le désir de rejoindre la bête noyée. Alors Renée, pour s’arracher à cette contemplation maudite de l’eau, examina son protecteur. C’était un homme de quarante ans au plus, le visage exsangue, mais le regard jeune d’un bleu clair très vague que la fixité des prunelles ne détruisait jamais complètement. Une barbe soignée, anglaise par la nuance, française par la coquetterie de la coupe, encadrait sa bouche un peu railleuse, en cachant les coins, ce qui permettait à son possesseur mille expressions insaisissables, fondues qu’elles étaient dans un grand aspect froid. Ses cheveux, rares, blonds et blanc, mêlés, laissaient ses tempes dégarnies. Les sourcils, en estompe, étaient très mobiles, accentuant le regard un