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vous un de ces quatre matins devant les barricades où, poitrine contre poitrine, nous ferons le coup de feu pour la révolution universelle. »

— Oh ! balbutia la bonne émerveillée, quelle blague il a, le père de madame !

— Je t’en supplie, murmura Louise joignant les mains, tais-toi, tu es fou ! Nous sommes ruinés… Ici, ce n’est pas permis d’être ruinés… papa… tu me fais mourir de honte !

M. Tranet avait ponctué sa fulgurante péroraison d’énormes coups sur la table ; les carafons dansaient encore et le plancher gémissait sous son piétinement de cheval rageur.

— Tout cela est très joli, papa Tranet, scanda froidement Louis, mais vous êtes en faillite… nous ne vous tirerons jamais de cette déconfiture… Qu’allez-vous devenir ?

— Ton domestique, si tu veux, mon gendre ! Je ne vaux rien pour le commerce, je te l’avoue, mais je suis un homme d’intérieur extraordinaire. Au besoin je te flanque une omelette sur le fourneau et je te prépare une salade à la crème, nom d’un pétard ! on s’en lécherait les doigts.

— Nous n’aimons pas la crème dans la salade, dit Caroline d’une voix sèche… c’est malpropre et trop coûteux pour notre bourse !

— Oh ! vous, belle-maman, du temps que vous étiez la plus belle fille de Tours !…

Caroline haussa les épaules.

— Oui… je le répète, la plus jolie fille de Tours… vous aimiez pourtant bien les éclairs à la crème, je vous en ai payé souvent, chez le pâtissier du coin. Eh ! Eh ! nous nous gobions un brin, dans ce temps fortuné… et, sans ma