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bourreaux, et je leur ai dit : Messieurs… Messieurs…

À cet endroit de son discours le père Tranet retroussa les manches de sa redingote avec un froncement de sourcils indiquant qu’il se croyait à la tribune pour discuter sur la « sociale.

Louise, épouvantée, avait envie de se boucher les oreilles. Louis songeait qu’une faillite devrait, régulièrement, frauduleuse ou non, se terminer par un suicide. Seule, Marie admirait le vieux Parisien.

— « …Messieurs… je n’ai plus que mes chemises… elles sont à vous… Tenez ! voilà trois cravates et douze mouchoirs… voilà le bouquet de noce de ma défunte, voilà son livre de messe, voilà mon tablier de cuir (un tablier que j’avais gardé de mon premier métier à Tours…), une relique, messieurs ! Puisqu’il va falloir vous engraisser de mon sang et de mes larmes, prenez tout. Si la décence le tolérait, j’irais tout nu sur la place de Paris… oui… tout nu ! Je vous dois quarante mille francs, une misère, quoi, pour vous, messieurs, des riches commerçants de la haute… Vous auriez dû, par égard pour mes cheveux gris, me laisser du pain ; mais prenez mes guenilles, elles vous porteront bonheur : les guenilles d’un honnête homme valent bien les robes de soie des drôlesses que vous gorgez avec les sueurs du peuple ! On a aboli la prison pour dettes… bientôt, nous l’espérons, nous, les obscurs de la société, une nouvelle faction démocratique abolira aussi le créancier… et, maintenant allez, messieurs… le déshérité de la fortune ingrate vous salue en vous donnant rendez-