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pandait une tristesse soporifique. La jeune femme tomba sur son lit, les bras abandonnés, l’œil fixe. Qu’aurait-il pensé, le fou d’Amboise, qu’aurait-il pensé d’un semblable dénouement ?…

Une existence nouvelle commençait pour Mlle Tranet. Jusque-là elle avait dirigé Louis, et la maison Bartau s’était ressentie un peu de sa direction. Maman Caroline n’avait plus le choix des confitures que l’on mangeait au dessert, elle préférait les pruneaux à la mélasse, et, Louise les ayant déclarés meilleurs au sucre, Marie, leur bonne, les faisait toujours au sucre. Depuis son mariage, Louis prenait quelquefois des allures de fanfaron de vice, il parlait d’amourettes devant les clients et assurait qu’à Paris il y a des gens qui divorcent facilement. Marie élevait souvent la voix pour insinuer que l’eau de pluie, après tout, gâte peut-être le linge quand elle sent mauvais et qu’on pêche des rats morts dedans.

Bref, un certain vent de luxure régnait sous le mûrier social.

Mais l’escapade inqualifiable de Mlle Tranet venait. Dieu merci, à temps, pour permettre une prompte réaction. Le soir, la jeune femme, au dessert, demanda timidement s’il restait des biscuits, car elle était d’une gourmandise rare.

— Non ! riposta maman Bartau, il y a votre fromage de gruyère, si vous en voulez ! Du reste, je ne crois pas qu’on mange du dessert à chaque repas, chez M. Tranet. Quand on marie sa fille sans une chemise et sans un sou, on devrait bien l’élever mieux que ça !…

Louise jeta sa serviette sur la table et sortit. Louis leva, devant ses yeux, le Phare de la