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mon cœur, madame, car j’en ai souffert jadis, de mes folies, cruellement souffert, et j’ai juré de rendre blessure pour blessure… J’étais venu dans ce château un peu par métier, beaucoup par raison, pour mettre au vert mes sens tortureurs et torturés ; je rencontre une madone… elle reste seule dans une auberge, dois-je la prier ou la violer ?

Il ajouta, l’entourant de ses bras souples et se relevant sur les genoux :

— Louise, peux-tu donc t’égarer à ce point, toi, une femme, et ne me reconnais-tu pas ?

Mme Bartau poussa une exclamation de frayeur. Voilà que sa démence lui revenait. Le reconnaître ! Comment ? puisqu’elle ne l’avait jamais vu avant la veille, dans le château d’Amboise ?

— Jésus ! balbutia-t-elle, je suis bien malheureuse ! Il va me tuer, sans doute… Au secours !

D’un bond il fut debout.

— Tais-toi donc !… Tu me crois la cervelle dérangée, je le devine… Ma pauvre amie, si tu savais l’entière vérité, tu n’aurais plus peur… plus peur du tout, mais m’écouterais-tu encore ? Je crains que non. Tu es si simple et si nature !… Pardon de t’avoir calomniée… Tu es celle que j’aimais sans l’oser rêver. Tu es ma perle fine, mon bijou céleste, tu es ma tourterelle au bec innocent et pourtant toujours plein de baisers… Le destin te jette à moi, le monstre, je te garde. Veux-tu nous en aller tous les deux ? À Paris… je te bâtirai un nid digne de toi : je suis riche, indépendant, et ton mari ne te reverra plus ! Dis-moi… le veux-tu, ce bonheur mystique que les hommes et ton époux lui-même ne sauraient t’offrir ?