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dait une expression d’ironie amère. Qu’avait donc fait à cet Antinoüs la destinée traîtresse ? Et ses vestes de velours fauve, son fusil damasquiné, son chien superbe ne lui appartenaient-ils pas ?… N’habitait-il pas, en artiste choyé, une demeure digne de lui ? Ne possédait-il pas un nom charmant et un frère qui avait eu le prix de Rome, l’année dernière ?

Elle lui souriait, inconsciente, la pauvrette, ne s’imaginant pas faire mal, elle croyait l’avoir déjà vu. Où cela ? Peut-être en rêve. Dans le couvent des Ursulines, à Passy, Louise Tranet se rappelait que, durant les nuits orageuses, elle rêvait, les yeux ouverts, d’un futur mari, et, comme elle avait seize ans, elle le choisissait, ce prince de contes de fée, très bouclé de cheveux, très blanc de teint, avec de jolies mains douces, une voix de cithare, des lèvres carminées, une taille svelte, un pied de jeune page. C’était, pour toutes ces raisons qu’une fois sortie de pension, un an après, elle avait épousé Louis Bartau, le fournisseur de bois de la maison Tranet et Cie, un garçon aux cheveux châtains, taillés en brosse, aux naïfs yeux gris, un peu carré de stature.

Un malaise mystérieux l’envahissait. Soit vertige, soit orage, elle se sentait vibrer comme une lame de métal.

— Monsieur, vous me serrez trop ! dit-elle à mi-voix.

— Je pensais, répliqua-t-il avec une légère impatience, que cela ne vous était pas désagréable… puisque vous avez peur !

Il la lâcha et elle se crut perdue, près d’une échancrure béante de la tour, les bras ballants, les orbites agrandies.