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Louise lâcha l’animal pelé en murmurant avec dégoût :

— Ce n’est pas joli, cette rue ! Oh ! la province ! Ce chat m’a l’air de crever de faim. Il faut que ce soit l’anniversaire de notre mariage, tu sais… d’un peu plus, je ne monterais pas là-haut ! Je suis convaincue que nous allons payer cher à l’Hôtel des Voyageurs, c’est tout près de la gare, et il vient des Anglais, ici, probablement.

Louis, la voyant raisonnable, risqua le fromage.

— Cherchons un épicier ! dit-il avec un profond soupir.

— Pourquoi faire, un épicier ? Est-ce que tu veux m’acheter du chocolat pour finir le reste du pain que j’ai emporté du déjeuner ?… Il est deux heures, je le devine à mon estomac.

— Gourmande ! fit-il en riant.

Ils dénichèrent une échoppe, toute noire comme la rue, enfoncée sous un auvent moyen âge, où il y avait des œufs, du beurre, des bocaux remplis de bonbons ridicules, du fromage de gruyère sali par les mouches. La femme acheta son chocolat, le mari désigna timidement le gruyère.

— Mais je l’ai en horreur ! s’écria Louise ahurie.

— C’est pour maman, expliqua-t-il très vite, un petit cadeau, tu comprends !… Elle me demande un fromage de l’endroit. Ma foi, je lui dirai que nous n’avions pas le temps de le chercher. Toi, ça te porterait sur les nerfs, n’est-ce pas ? Et puis, en chemin de fer…

Elle éclata :

— Quelle fantaisie, mon Dieu, mon Dieu ?