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amante des amantes qui n’as pas de bouche pour dire leurs noms et qui les appelle de si loin, traîtresse qui fuis les doigts et les envenime, peau de panthère blanche qui aurait l’odeur de la neige si la neige pouvait embaumer, je t’adore…

— Relève-toi, Paul, ordonna Jane scandalisée, je te défends de te moquer ainsi de moi, devant moi ! Où as-tu l’esprit, mon Dieu ?

Elle pleurait, et, n’essayant pas de retenir ses larmes, elle les laissait couler de ses joues, toutes pourpres de révolte, sur l’étoffe immaculée dans laquelle lui se pâmait, oubliant complètement sa présence humaine.

— Non, c’est ignoble ! déclara-t-elle se cachant la face.

Pris au piège qu’il s’était tendu, Paul sombra jusqu’au spasme en pleine illusion, et la superbe soierie eut comme un râle sourd. Jane sanglotait éperdument.

— Eh bien ! fit le jeune homme revenant enfin du pays des mauvais songes les yeux cernés, tes lèvres pâlies, nous choisirons la moire aux ramages de perles, puisque tu la préfères ! Moi, maintenant, ça m’est égal ! À propos : n’ai-je pas rendez-vous à quatre heures avec le directeur des Folies-Nouvelles pour le manuscrit ? Je crois que j’allais l’oublier.

Il se releva, s’étira et partit d’un éclat de rire nerveux.

Jane pleurait toujours.

Entre eux demeurait étendue la belle étoffe ravagée, froissée, ressemblant assez aux vêtements, désormais inutiles, d’une beauté morte.