Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/85

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ne goûtant, du reste, le plaisir qu’à l’état de tourment, surtout pour les autres, il aimait les larmes comme un petit empereur romain. De son côté, Jane Monvel joignait toutes les ordinaires maladresses des femmes éprises aux plus pitoyables imitations de la grande Française. Elle roucoulait sans raison, débitait la tirade sentimentale d’un ton de pensionnaire punie et risquait des allusions touchantes à la mémoire de son père, le capitaine d’artillerie, mort, jadis, pour le drapeau. Comme il arrive parfois aux jeunes filles devenant femmes, elle avait laissé son ton de gamine pour prendre un accent pathétique et des allures de vierge martyre ; se doutant, d’instinct, qu’elle n’était pas destinée aux gloires de l’amour, elle boudait, souvent, devant lui, en mignonne exilée regrettant le pays de l’innocence. Au fond, Jane éprouvait de vagues terreurs. Le silence de Mme de Crossac lui pesait. Elle se sentait guettée, de loin, espionnée par une ennemie qui ne pouvait lui pardonner sa fugue. Son bonheur ne durerait pas dans ces conditions mystérieuses, et pour qu’elle fût heureuse normalement, il était nécessaire de subir la vengeance de sa rivale. Elle expliquait cela, des journées entières, au jeune amant qui commençait à trouver que le châtiment en question se trompait de victime.

Lorsque l’idée d’un début théâtral s’empara de la craintive toquée, Paul y applaudit, s’écriant :

— Mais oui ! Tu me parais née pour doubler les Geneviève, toi !

Et ce nouveau jeu leur fournit les plus âpres sujets de discussions.