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soupira Reutler, haussant imperceptiblement les épaules, que le premier-né d’une femme est toujours le fruit de l’amour du père et qu’il est d’essence mâle… quel que soit son sexe. Le second n’est, sans doute, que le produit du plaisir partagé ou de l’habitude, et la facticité même de sa conception le rend plus léger, plus fille. Si, moi, je dois prendre trop au sérieux mes devoirs vis-à-vis de toi, je m’imagine que tu n’es pas obligé de te rendre compte des tiens avec une gravité exceptionnelle. Carnassier sans le savoir, puisqu’il a dévoré en naissant et son père, cérébralement, et sa mère, physiquement, le second louveteau des de Fertzen finira par me dévorer moi-même, toujours le plus innocemment du monde… et en s’aiguisant les ongles sur des perles, comme la Française qui est derrière mon fauteuil !

Éric souriait.

— Cela signifie, en style de tuteur bienveillant, que je suis capable de nous ruiner, jeta le jeune homme d’un ton convaincu. Allons, je profiterai de cet avis, Monsieur mon cher aîné !

Reutler poursuivit, dédaignant de s’expliquer davantage :

— … Ce jour-là, Éric, il faisait bien froid. Notre mère n’ayant pas eu la force de se traîner à la fenêtre, était couchée, grelottant sous ses draps, et moi, debout, contre les vitres, je devais lui dire ce que je voyais afin de la distraire de ses premières douleurs. Jorgon était parti à la recherche d’une sage-femme qu’il savait, d’avance, ne pas pouvoir trouver, en ces temps de folie peureuse où les paysannes enterraient leurs vieilles hardes. Ma mère