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pératrice Eugénie où il était d’usage de surnommer les plus jolies de noms qui n’avaient pas toujours un aussi honnête parfum. Elle était spirituelle, fine, plus emportée que méchante, cependant gardait, dans le fond de son petit cerveau d’oiseau mouche, un entêtement de brute. Du Nord, lui vint l’hercule qu’il fallait à sa primesautière nature d’enfant gâtée. Un des jeunes officiers accompagnant l’ambassade allemande, le baron de Fertzen, notre père, lui plut ; elle voulut l’épouser, valsa trois fois avec lui, l’épousa. Il était riche, noble ; elle était riche, noble. Des années d’enchantements s’écoulèrent, tantôt à Rocheuse, notre résidence française, et tantôt en le château blanc — oh ! si blanc sur son horizon de bois de sapins — d’une petite ville de la Souabe. Elle me mit au monde dans ce château, là-bas, très loin… Douze ans après, lorsque des bruits de guerre se répandirent, sur un coup de tête héroïque, elle revint en France pour l’éternité. Ses parents l’accueillirent… comme une héroïne. Moi, je pleurais. Mon père n’avait rien dit. Il ne disait presque jamais rien, mon père, bien qu’il parlât purement le français. Il s’était incliné devant cette volonté dénaturée, et, devenu l’ennemi de celle dont la poitrine lui servait d’oreiller chaque soir, il s’était redressé, l’œil froid. Je ne vois plus, dans mes souvenirs troubles, que la haute silhouette d’un homme debout, les bras croisés, sur un perron de marbre et regardant partir la voiture qui nous emmenait. Cela, c’était déjà la guerre, la préface du grand illogisme, et parce que c’était absurde, cela s’accomplit sans difficulté.