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être aimé des femmes et non pour en devenir l’esclave. Sans exagération, je ne vois pas de femmes qui puissent me valoir… sous aucun rapport !

Reutler contemplait le jeune homme. Son regard était rentré, et l’on sentait tout au fond de l’eau noire de ses larges yeux, comme l’admiration ironique d’un Satan aux aguets. Il se taisait, laissant Paul rôder autour de son bureau. Celui-ci, le buste cambré, se comparait au portrait de sa mère, se mirant dans ce miroir de toile peinte.

— Elle était très belle, hein ? murmura-t-il, je suis fier de lui ressembler. Elle a quelque chose d’une princesse byzantine. Je t’en prie, parle-moi d’elle. (Dans une subite explosion de tendresse, où tout le cynisme naïf de sa nature de poète resplendissait, il déclara :) Vois-tu, Reutler, c’est la seule dont je sois amoureux, car elle est morte et elle est l’impossible !

Reutler tenait un couteau d’ébène avec lequel il traçait des signes, la main nonchalante. Le couteau se brisa entre son pouce et son index.

— J’espère, dit-il, que ce n’est pas là le sujet du poème que tu intitules ainsi ?

— Mon Impossible ? Oh ! le poème que j’intitule ainsi est encore à l’état confus. C’est le chaos dans ma cervelle, cette œuvre-là.

— Je m’en doute bien… ! Allons, je vais donc te parler de notre mère, reprit Reutler de sa voix sourde, ne daignant plus se révolter… Oui, vous vous ressemblez étrangement, tous les deux !… Ce fut une exquise femme, un peu l’esprit à l’aventure, une romanesque, j’ai su qu’on l’appelait l’abeille du manteau royal à la cour de l’im-