Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/67

Cette page n’a pas encore été corrigée

pendant, presque consolé par cette fougueuse colère, il objecta, d’un ton timide :

— N’est-ce pas, mon grand, ce serait l’impossible ? Moi, j’avoue que j’y renonce. Je veux opter parce que je ne sais quelle volonté noble semble m’entraîner… te haïr, non, je n’ai pas la force ! Ensuite, je veux opter pour te faire bien sentir que je ne suis pas un lâche, un efféminé, comme tu as l’air de le supposer… et puis, et puis… si je n’optais pas, tu me traiterais de girouette, je ne peux plus me dédire : je l’ai juré, hier !

Reutler s’était rassis, la tête dans ses mains, il ne pleurait pas, il s’isolait. Paul le devina tout à coup si loin qu’il alla le chercher. D’un geste tendre, il saisit le front de son aîné et le baisa pieusement. Reutler eut un tressaillement douloureux.

— Je ne doute pas de ton amitié pour moi, dit-il, reprenant sa voix calme, aux inflexions un peu gutturales. Ce que je disais, je ne le disais pas pour le frère qui est là, c’était pour un inconscient qui vit en ce frère… comme un étranger ! Éric, souviens-toi de ne jamais chercher à glisser la haine entre nous. Il ne faut, entre nous, aucun mouvement de violence… de quelque nature que soit ce mouvement… (Il s’interrompit, rêveur, pour caresser les cheveux du jeune homme.) Ah ! j’avais bien prévu que cette satanée femelle gâterait les choses !… Comment a-t-elle fait pour savoir nos secrets ! J’avais enveloppé ton enfance de tant de précaution, t’élevant moi-même, loin de toutes les intimités bavardes. Allons ! Ne te chagrine pas avant l’heure. Sois égoïste à ton aise. Si je t’ai désiré libre, ce n’est pas pour ma propre