Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/64

Cette page n’a pas encore été corrigée

phème, mais parce qu’il a reconnu que ce dieu était toujours absent de son tabernacle, est un esprit délivré de toutes souffrances… tellement il a souffert pour en arriver là. Je ne m’attends à rien de pareil de ta part, car tu as horreur de la moindre contrariété. Tu resteras donc souffrant toute ta vie. Je te souhaite de te croire heureux. L’imagination supplée à beaucoup de détail. Je te voulais citoyen de l’univers : si tu préfères être roi dans ton village, à ton aise !

Reutler se leva ; s’étant adossé au large cadre du portrait qui se trouvait derrière lui, il se croisa les bras, en apparence très indifférent. Pas une fois sa voix n’avait tremblé ni n’était sortie de son diapason normal. Paul, couché sur le canapé, enfonçait sa belle tête dans les coussins dont il déchirait le brocart à pleines dents pour étouffer ses sanglots.

C’était fini de ses bravoures. Il n’avait vraiment qu’une manière de prouver sa virilité, lui, et peut-être que ce ne devait pas être la bonne. Oui, enlever des femmes ! Raisonner froidement d’homme à homme, ce lui était impossible. Une seconde, il confondit son père, son frère et Mme de Crossac dans la même malédiction. Enfin, il se redressa et vit au-dessus de la sombre silhouette de son frère, le Prussien, le radieux portrait d’une femme qui souriait en jouant avec un collier de perles.

— Et ma mère, notre mère ? Tu ne m’en dis rien ?

Reutler hocha la tête.

— Il n’y a rien à en dire : elle nous a faits ce que nous sommes.