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vérité. La vie est faite de ces ironies, on ne s’en aperçoit bien que lorsqu’on en parle.

Paul s’affaissa dans les coussins, repoussant les papiers.

— Je suis né en France, mon père a été tué par des Français… toi, tu es Allemand, né en Allemagne ; il me reste le droit d’opter pour rétablir l’équilibre. Ah ! non, c’est trop fort ! Reutler, qu’est-ce que ce cauchemar ?


IV

Il y eut un moment de silence glacial entre les deux jeunes gens. Puis, pendant que Paul se cachait les yeux de ses poings crispés comme un enfant qui ne veut pas voir le fouet dont on le menace, Reutler murmura :

— J’attendais, pour parler, que tu eusses atteint l’âge où l’on réfléchit, mais, toi, tu ne réfléchis pas, tu te décides ! Tu m’as dit, hier : je veux opter. Soit. Tu as deux ans devant toi pour t’accoutumer à cette idée, ce n’est pas trop. Pour moi, mon seul but a été de te créer homme libre, et rien ne me fera influencer tes résolutions. Cependant, je te dois encore un commentaire : je ne crois point aux devoirs sociaux, je ne m’occupe que dès devoirs humains. Je n’ai pas calculé si je demeurais Allemand ou Français en m’abstenant de choisir un pays. Sor-