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— Je te ferai remarquer, objecta Reutler, que je n’ai aucune envie de me jeter à l’eau, moi. Il n’y a rien de changé. Nous sommes encore des gens libres, riches. À notre place, des imbéciles seraient très heureux !

— Oui, seulement, nous, nous pensons. On n’est pas libre quand on pense !

— Pauvre gamin !

Reutler se courba sur le front de son jeune frère et le contempla, puis, il eut un soupir, comme à regret, relâcha peu à peu son étreinte.

— Allons, dit-il, Jane Monvel t’attend. Celle-là… les autres… toutes ! Il le faut, paraît-il, car la débauche est une chose saine qui empêche de penser. Va la rejoindre. Tu es son Messie. Ce serait cruel de lui donner des doutes. Va ! Le droit à l’amour est imprescriptible, Don Juan !

Ils s’étaient arrêtés devant l’entresol de la rue de Verneuil. Paul boudait, se détournant de la porte.

— Reutler, un dernier mot, implora-t-il subitement câlin, m’aimes-tu ?

L’aîné, se tenant immobile, à côté du cadet, paraissait l’envelopper de toute son ombre. Il le dominait et se taisait. On ne voyait rien de son visage que sa bouche torturée de son éternel rictus. Il se taisait… et son silence était effrayant pour Paul qui haletait, songeant qu’à l’extrême rigueur, demain, on pourrait devenir ennemis, se séparer éternellement sur des injures.

Paul ne se décidait pas à rentrer chez lui ; il frappait le trottoir du pied et toutes ses volontés se diluaient dans une extraordinaire lâcheté cérébrale. Il ne désirait plus, sincèrement, que la réponse de