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votre cher frère vous êtes les fils d’un officier d’état-major allemand tué par nous (elle souligna) à la bataille de Villersexel et vous, vous êtes né durant cette même bataille. Votre mère, paraît-il, pouvait, de son lit d’accouchée, entendre tonner le canon.

— Ma mère, râla le jeune homme frissonnant d’une angoisse affreuse, elle était donc française, elle ? Pour Dieu, Madame, achevez-moi !

— Oui, c’était une Française… de piètre race puisque, douze ans avant 70, ses entrailles n’ont pas frémi de dégoût à l’approche d’un uniforme prussien !…

Orgueilleux, libertin, déjà blasé, Paul-Éric de Fertzen n’avait qu’une faiblesse : se laisser toujours glisser jusqu’au fond de ses sensations. Sans trop savoir pourquoi, il poussa un cri de femme qu’on égorge, chercha vaguement un couteau, afin d’égorger à son tour, et tomba tout de son long dans une épouvantable crise de nerfs.

Satisfaite du résultat, la forcenée patriote fit un signe à sa lectrice qui rentrait, sur les pointes.

— Le voilà, ce garçon si fringant ! Il est maté. Tu vas lui faire respirer des sels comme à une jolie personne, et quand il sera revenu, tu le morigéneras. Au besoin, enferme-le à clef !… Est-ce que mes acteurs sont prêts ? Et le souffleur ?…

— Tout va bien, Madame, répliqua Jane que la terreur étranglait.

La comtesse de Crossac, bombant le torse, l’œil tragique, la lèvre impertinente, sortit, à la fois captivante et majestueuse, selon les indications de l’auteur.