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Jorgon parut. Le vieux domestique apportait des livres qu’il replaça, silencieux, le long des rayons d’une bibliothèque. Ses épaules se voûtaient, l’une plus que l’autre, son infirmité s’accentuant depuis qu’il assistait aux désastres de la maison. Il se courbait d’horreur, toujours très respectueux.

— Monsieur Éric est sorti, tantôt ? questionna Reutler malgré lui.

— Non, Monsieur le baron. Il avait donné l’ordre d’atteler. Après son déjeuner il a changé d’avis, je crois.

— Pourquoi la voiture ?

— Je pense qu’il voulait promener Mademoiselle Marie en ville.

Reutler recommença le tour du salon, les mains derrière le dos, n’osant pas insister. Le verrait-il au repas du soir ?… Jorgon ramassa les débris du petit meuble et se retira.

— Si je la chassais… ou… tous les deux ! pensait Reutler. Ma vie pour savoir ce qu’ils font là-haut ! Et je suis à un étage de distance de ce mystère… je n’ai qu’à prendre l’escalier extérieur… aller voir ! Je n’irai pas ! Je suis prisonnier chez moi, prisonnier de ma volonté… quel bagne ! En exaspérant ce désir d’enfant, va-t-elle en faire naître une passion d’homme, une passion normale ? (Il eut un frisson, chancela.) Le possible, est-ce bien intéressant ? Ah ! j’ai eu tort de jurer cela… on a tort d’être un honnête monstre… les lois ordinaires ne sont pas faites pour les monstres… Je n’aurai donc pas la force de rester debout jusqu’à ce qu’elle vienne me réclamer ses droits… Ah ! monter… les empêcher, là-haut, de me marcher sur le