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les doigts comme un voleur qui touche à un trésor. Il ne sortait presque plus. Renonçant aux courses en forêt, il délaissait ses chevaux et n’exigeait aucun service de ses domestiques, car il avait remarqué de singuliers sourires parmi la valetaille. Jorgon, le dévoué, arrivait toujours au premier coup de timbre, mais il roulait des prunelles hagardes pour le moindre geste, se reculait, défiant. Alors, Reutler s’enfermait, montait à son observatoire, cherchant l’air qui lui manquait, là, composait des poisons, le cerveau peu à peu paralysé par la folie de cette idée fixe : mourir dès qu’il serait libre.

Il ferma le clavier en respirant péniblement

— On étouffe ici, murmura-t-il. Je suis donc prisonnier chez moi ? J’ai peur de faire du bruit ! Cette femme… ah ! Aurai-je le courage de m’en aller, à présent ? Toute une semaine sans le voir… Que font-ils ?… Mon honneur… en échange de l’honneur d’une servante !…

Il se promena, tournant sur lui-même les poings serrés.

— Quel silence !… J’ai eu tort de chanter mon âme… Il ne faut pas réveiller les démons qui cherchent à s’endormir… Non ! non ! La femme est une volonté de qualité inférieure ! Je ne puis me tromper… Je suis le dieu… elle est la bête… mais je suis seul. Oh ! comme je suis seul ! Et un jour… Dieu s’est ennuyé d’être seul ! Je ne verrai pas Éric !… Il ne descendra pas !

Il heurta un de ces petits meubles de laque encombrant tous les passages, un de ces petits bibelots sans raison d’exister qui lui causaient les plus vives impatiences ; et l’émietta fiévreusement.