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rieux frère, soupira Paul, vous me cachez des choses… Son amant ? Et pourquoi pas ! Il l’a peut-être aimée. Peut-être endure-t-il le fameux martyre de la jalousie à la seule fin de me complaire ! Oui, oui, c’est un beau cavalier, le beau ténébreux ! je m’étonne qu’une sentimentale m’ait donné la préférence. Il a tout ce qu’il faut pour séduire une romanesque. Oh ! Très chic, le genre fatal !

Paul gagnait la porte où il devait gratter. Il gratta, bougonnant :

— … Malheureusement, ce n’est pas le mien. Quelles corvées, ces ruptures !

Tout aussitôt, une jeune fille vint ouvrir.

— Bonsoir, Monsieur de Fertzen, fit-elle gaiement. Tiens ?… vous arborez le muguet rose ?… Il n’y a que vous pour dénicher des fleurs impossibles ! Vos boutonnières font mon admiration !

Elle referma la porte, retendit des draperies.

— Madame va venir, ne vous impatientez pas, Monsieur de Fertzen, et tenez vous tranquille, pendant que je prépare le costume.

Paul se trouvait dans le sanctuaire : une chambre à coucher, ornée simplement de quatorze portraits, grandeur nature, représentant l’idole en ses multiples rôles de comédienne pour théâtre intime. Il y avait une pauvresse aux yeux timides (littérature Coppée), une aventurière conspiratrice (feuilleton Alexandre Dumas), des mondaines froufroutantes (style Bourget), une Jeanne d’Arc salvatrice (drame anonyme). On se serait cru dans un musée de cires. Le lit, très pensionnaire, se voilait de mousselines, et, sur la cheminée, on voyait se dresser, tel un menaçant sommet d’avalanche, le