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rence pour les domestiques, et, très dignes, la lune de miel de leurs âmes ayant disparu devant le lever d’un autre astre, ils ne se rencontraient qu’aux repas durant lesquels, souvent, il n’échangeaient pas un mot. Ils ne se tutoyaient plus, et s’ils avaient supprimé d’un commun accord le ridicule vocable de : Monsieur, ils s’appelaient : mon cher ou mon ami, pour éviter de proférer leur nom. Paul, qui avait l’habitude du masque, ne souffrait guère de cet état de chose, Reutler agonisait. Il battait les campagnes, à cheval dès l’aube, visitait les villages lointains, sous prétexte d’aumônes, soignait les pouilleux pour se distraire, rêvait même de fonder un hospice de concert avec l’aubergiste Joviot, semait son or en roi qui ne sait ni ce qu’il fait ni ce qu’on lui demande, essayait de la philanthropie comme il eût essayé d’un narcotique et n’en dormait pas mieux !

Paul pénétra chez lui, accompagné du chien. Le pauvre vainqueur, flairant une semonce, s’arrêta, tout tremblant, sur le seuil et lâcha le paon. Un geste câlin de Paul le lui fit reprendre ; oreilles basses, l’animal se mit à ramper.

— Reutler, dit le jeune homme de son ton chanteur, de cette voix féminine qu’il dissimulait depuis sa transformation, Reutler, ton sale chien m’a pris mon joujou, il a tué le prince Mes-Yeux ! Je le fais monter pour que tu ne m’accuses pas de mensonge… et je n’ai pas osé le corriger parce que je sais que tu l’aimes… et j’aimais bien mon oiseau… je suis désolé !

Il fut obligé de se mordre la bouche pour ne pas rire, ce qui lui donna l’air d’avoir envie de san-