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— Monsieur, dit-il d’un ton léger, s’arrêtant en face de Reutler qui, lui, l’attendait, les yeux clos, ne vous semble-t-il pas que si cette situation se prolonge nous deviendrons grotesques ? Or, le ridicule peut être mon caprice durant un temps, ce n’est pas la ligne de conduite de toute ma vie… et ne fût-ce que pour ne pas effaroucher nos gens, nous pourrions reprendre l’habitude des repas en commun. À supposer que nous nous haïssions mortellement… il nous reste assez d’esprit pour demeurer des hommes bien élevés.

Reutler prévoyait tout, excepté ce langage de mondain. Une souffrance aiguë lui tordit le cœur. Il ouvrit les yeux.

— Mais, mon cher enfant, murmura-t-il, nous ne nous haïssons pas ! Je ne souhaite que votre transformation en homme comme il faut, seulement, croyez-moi, n’exagérez rien, le type de l’homme comme il faut n’a jamais rien d’excessif.

Paul s’assit devant lui, croisa la jambe et se prit le pied.

— Ah ! Vous êtes sûr ? (il eut un sourire froid.) Je connais pourtant un homme comme il faut qui a fait monter la terrasse de sa maison jusqu’au balcon de sa maîtresse, je dis sa maîtresse pour ne pas dire sa servante, car il y a équivoque, Monsieur, au moins en l’honneur de nos offices. Encore une chose que les hommes très distingués pratiquent volontiers, l’équivoque. Moi, je ne juge pas, je constate…

À travers la fumée du cigare, Reutler voyait se fixer sur lui les grands yeux orageux très sombres et très doux de la femme, perçant le masque.