Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/302

Cette page n’a pas encore été corrigée

conseillers municipaux se regardaient entre eux. Monsieur Joviot soufflait comme un cheval de laboureur. Quant au musicien, il ne s’étonnait guère, parce que ce jeune fou, c’était peut-être une autre personne de la famille, et il rentrait ses pieds sous sa chaise.

Il fallut l’irruption des rafraîchissements pour calmer les révoltés. La petite servante, marchant menu, droite, les yeux rivés à ceux de Reutler, apportait des flacons couleur d’ambre et des verres légers comme des bulles. Elle posa le plateau devant le maître d’un geste doux d’offrande.

— Qui a demandé cette enfant ? s’écria Reutler, dont le regard sombre fulgura.

Marie dressa plus haut sa petite tête brune.

— Monsieur Paul est venu me chercher de votre part, lui répondit-elle anxieuse. Elle s’était faite belle et avait des mains propres.

— C’est bon ! Ne servez pas. Je vous remercie.

Effrayée de son ton dur, elle alla se blottir contre un meuble, n’osant plus sortir.

En buvant, on parla des récoltes, s’annonçant superbes, du matériel des nouveaux pompiers (frais d’équipement à la charge du capitaine) et la générosité du Lunel aidant, on refit, timidement, la proposition brûlante. Puisque le cadet avait fait ses preuves, il était libre de s’habiller selon les modes parisiennes, il était chez lui partout.

— Messieurs, répliqua-t-il de son ton languissant, je ne désire pas le moins du monde opter. J’ai une maladie de cœur qui m’empêcherait, du reste, d’être soldat. Regardez donc pâlir mon frère … Vous lui causez une immense peine en me for-