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où les deux jeunes filles s’alanguissaient au souvenir du poète, on retournerait à Paris et on y publierait des volumes, on se sacrerait grand homme. Reutler souriait. Être un grand homme, c’est prendre l’habitude de jouer un personnage très ordinaire devant les déférences de la foule. En se sentant regardé, Paul-Éric ne consentirait-il pas à être plus simple ? et n’y aurait-il pas moyen de lui faire épouser, un soir de gloire, où les attendrissements de la vanité satisfaite vous tiennent lieu de morale, une de ces deux jolies filles des de Preuille, celle qui avait bien voulu échanger un cheval anglais qu’elle adorait contre une jument arabe un peu vicieuse ? L’union sage, philosophique, un de ces mariages précoces qui sont comme un remède à toutes les mauvaises passions. Raisonnant, analysant, daignant sourire, Reutler se sentait néanmoins très inquiet. Aurait-il le courage de préparer cette union et d’essayer de le guérir par un remède imbécile, quand lui, le philosophe, préférait la mort ? Il songeait, le regardant s’amuser avec un oiseau, que son enfant ne méritait pas un sort aussi sérieux, puis il détournait la tête en murmurant :

— Je fais trop de musique, mon orgue m’exalte. C’est une distraction profane qui me rend nerveux. Je la supprimerai. Je n’arrive plus à penser juste. Je n’ai aucune raison de mourir. On ne meurt pas pour la félinité d’une taille qui ploie ! C’est absurde ! je me dois à lui et je vivrai. Seulement il faut que son regard câlin cesse de m’insulter, il le faut ou je m’abaisse moi-même en tolérant ce regard ! Mon Dieu ! Comme tout est