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sieur, je suis pas ma maîtresse, vous comprenez ? je pouvais pas changer de place. J’ai un livre. Tenez ! je ne sais pas beaucoup ni lire ni écrire, vous verrez vous-même. (Elle lui tendit un livret à couverture grasse.) Je m’appelle Marie. C’est pas mon nom, mais, en service, on m’a changé l’autre ; je suis habituée à celui-là. J’ai dix-neuf ans. J’ai fait seulement deux places… Le patron, un matin, il a voulu… je peux pas vous dire… j’ai pas d’amoureux, j’aime pas ça, j’en ai jamais eu et j’en j’aurai jamais, parce que c’est pas mon idée… je suis devenue colère… oh ! colère ! Ça tournait, ça virait dans ma tête que j’en ai tout cassé ; j’ai tapé sur lui, sur la vaisselle qui était sur la table, prête à essuyer, j’ai cassé les carreaux, j’ai cassé les meubles et j’y ai jeté les morceaux à la figure… La patronne est venue, elle n’a pas voulu croire ce que je lui disais du patron ; c’était vrai, comme je vous vois, Monsieur ! Et elle m’a mis dehors sans mes gages, rapport à la vaisselle. J’ai eu peur de l’hospice. On m’aurait peut-être enfermée, chez les bonnes sœurs. Elles sont si méchantes ! Je suis allée tout droit devant moi, j’ai marché près de trois jours sans boire ni manger… mes souliers sont fendus et sont des souliers neufs de la dernière Pâques, Monsieur. J’ai cherché des places mais je peux pas montrer mon livre, on me ferait prendre par l’hospice. Au village, là, sous votre château, le curé m’a traitée de petite coureuse de nuit ! Je lui ai répondu : « C’est pas ma faute si je cours la nuit, personne ne veut me garder pour travailler le jour. » « Tu n’es pas de notre paroisse »,