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ses deux mains puissantes, délivrées d’il ne savait plus trop quelles chaînes, il s’empara de sa tête penchée et baisa passionnément le scintillant diadème de ses cheveux.

— Tu es mon amour, tout mon amour ! avoua-t-il vibrant d’une extraordinaire joie.

Lorsqu’il revint vers la table, la petite servante mangeait.

Elle prenait du pain, des fruits, des gâteaux, goulûment, et elle buvait en roulant des yeux égarés au travers de sa coupe. C’était bon, mais très fort ; cela lui piquait les paupières. Drôle de vin. Le valet de chambre parti, elle se dépêchait comme une voleuse. Cependant quand Reutler, stupéfait, l’examina, elle eut un innocent sourire.

— Vous voulez bien ? dit-elle doucement.

— C’est donc mon frère qui vous fait peur ? Il n’a pourtant pas la tournure d’un gendarme, lui ? ricana l’aîné.

— Je sais qu’il est méchant, répondit la jeune fille avec vivacité, je l’ai bien vu quand vous avez passé la première fois. Il a mordu son cheval. Et puis il voulait me couper les cheveux… vous, vous êtes très grand mais je n’ai pas peur de vous. Je vais vous expliquer J’étais en service à la ville, je viens de Besançon. (Elle s’arrêta pour avaler son pain, et reprit d’un ton guttural :) Oui, chez un épicier de la rue du Fer, dans une arrière-boutique toute noire… Il y avait un nourrisson qui criait toute la journée, fallait le soigner, fallait le nettoyer, fallait laver la vaisselle et la cuisine. La patronne grondait et puis aussi le patron, un vilain tout vieux si détestable… Je sors de l’hospice des enfants-assistés, moi, Mon-