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— Oh ! fit Paul croisant la jambe, il y a des betteraves dans les champs et… des étalages dans les villes. On s’arrange ! Les diplomates appellent ça des revendications sociales.

Elle le regarda en dessous. Une révolution pénible s’opérait au fond de sa petite cervelle. Peu à peu, elle rougit.

— Les étalages ? je ne suis pas une voleuse ! Non, je ne suis pas une voleuse, je ne ferai jamais ça… dites voir ce que je vous ai pris, vous, pour m’accuser ?

Paul se leva, nonchalant. Il était très pâle ou de colère ou de sommeil.

— Ce que tu m’as volé, déclara-t-il en s’adressant à Reutler par-dessus la tête de la jeune fille, peut-être la moitié d’une minute qui contenait mon éternité, et, bien que tu l’aies fait sans t’en douter, je te trouve encore trop riche de cela, petite mendiante. Bonsoir, mon grand, je vais dormir, je te cède la jeune ennemie, car elle ne me paraît pas dangereuse.

Il s’en alla. Reutler tressaillit, sortant de ses rêves. Il jeta sa serviette et courut vers la porte. Il l’aperçut montant le grand escalier. La verrière de la terrasse prolongeait jusqu’à lui ses reflets d’émeraude. Ce n’était donc plus Don Juan ce jeune homme si svelte, et si merveilleusement blond dans la transparence de cette nuit nuptiale ?

— Éric ? implora-t-il.

Le jeune homme entendit, malgré que la voix de Reutler ne fût plus qu’un souffle, et il se retourna pour s’accouder aux rampes, si fatigué qu’il en devenait triste. Reutler le rejoignit d’un bond ; de