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inonda. Ils se regardèrent les yeux fixes. Reutler mit sa main mutilée devant ses lèvres pour dissimuler un sourire.

— Pauvre femme ! murmura-t-il, et il sortit, en épongeant ses vêtements de son mouchoir qu’il jeta ensuite très loin, car il redoutait les parfums.

Ce fut un souper triste. Paul, un peu honteux, très fatigué, tombait de sommeil malgré ses allures dégagées. Reutler déchiquetait les mets du bout de sa fourchette. Immobile sur l’extrémité d’une chaise dont le haut dossier la faisait paraître toute petite, la paysanne se tenait raide, les mains jointes ; elle ne mangeait pas. Elle avait plutôt l’aspect d’une petite servante. Elle portait une jupe de lainage noir, très usée, un corsage d’indienne, un fichu à ramage rouge pivoine sur fond jaune, et ses cheveux pendaient en nattes dénouées, pleins de brindilles sèches. Brune de teint, elle avait, aux lampes, cette peau huileuse des femmes espagnoles qui ne se sont pas lavées depuis huit jours et des traits plus qu’irréguliers, sous la crasse. Son nez, fin de la racine, s’écrasait du bas, ses yeux longs ne s’ouvraient qu’à demi en fentes sombres par où filtrait une lueur inquiétante, sa bouche étroite, charnue inférieurement, se crispait, méchante, sournoise, et on voyait briller, entre ses lèvres, très foncées, comme une viande de gibier cru, des dents solides, quoique un peu chevauchantes.

Quand on lui adressait une question, elle reculait sa chaise, sans répondre ni non, ni merci.

Reutler l’étudiait, tout rêveur.

— Vous n’avez donc pas faim ?