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mence à croire que c’est l’incendie qui vous a tourné la tête. Vous avez eu peur des flammes… vous vous êtes échappée du village ?

— Je n’ai pas peur du feu, répliqua-t-elle se raidissant. Puis elle jeta un cri suraigu et retomba, comme expirante, sur l’épaule de Jorgon.

— Va vite ! ordonna Reutler.

— Tu es ridicule ! déclara Paul furieux. Cette petite est infestée de vermine, peut-être. Elle t’aura gratifié de quelques poux… et moi d’un rhume de cerveau. Elle est fort laide, par-dessus le marché. Une aventure déplorable.

Il prit le bras de son aîné, ajouta, moqueur :

— La connaîtrais-tu ? Ta dignité se promène-t-elle quelquefois chez les gardeuses de dindons ?

— Je n’ai jamais rencontré cette femme, répondit Reutler d’une voix absorbée. C’est-à-dire, je l’ai vue ou j’ai cru voir ses yeux, déjà, étant enfant. C’est un souvenir très confus, une sorte de rêve pénible qui me reste d’une époque fiévreuse… Je te le répète : un rêve, puisqu’elle est toute jeune.

Et de nouveau, silencieux, les deux frères pressèrent le pas.

Sur une esplanade dallée, le château de Rocheuse, éclairé par les lanternes de tous les domestiques s’agitant à l’arrivée des maîtres, donnait l’impression d’une grande cage de verre. Au sud, une terrasse vitrée, qu’on découvrait durant la belle saison, était remplie de rosiers rares, et leur feuillage, aux lumières, prenait des tons d’émeraude. Ses murailles grises, trouées de grandes baies formées de superbes glaces sans tain, semblaient transparentes. Au nord, une tourelle en-