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tant de courage inutile ! (Et il rit tendrement.) Cette écorchure à la poitrine, tu es bien sûr que ce n’est rien, mon fils ?

Le jeune homme haussa les épaules.

— Il serait, en effet, plus miséricordieux de m’achever !… Reutler, mon cher aîné, quelle morale que la vôtre ! Vous m’aimez beaucoup trop. Dispensez-moi de vos pitiés, je vous prie. Vous tenez au rôle sympathique, gardez-le mais ne m’agacez pas de vos petits soins… ou je vous flanque des gifles.

— Est-ce que nous n’allons plus nous tutoyer, mon Éric… Je crois, franchement, que je préférerais les gifles. Regarde-moi un peu en face. Tiens, ici, on est hors du fourré, on a une si belle étendue de ciel. Moi, je respire comme sur une barque en plein océan. Je n’ai plus ni secret ni frisson d’épouvante… Il n’existe plus rien de mon passé louche et de mes terreurs mystérieuses. Mon cœur est libre… Je veux que tu sois heureux ! Nous rentrerons dès demain dans les villes, nous irons où tu voudras, nous serons français, prussiens, byzantins… même amoureux de toutes les femmes. La campagne ne nous est pas douce, sauvons-nous. Je médite la gloire… un joujou que je vais t’installer là-bas à Paris et pas banal, pas celui qu’on achète, je te forcerai bien à t’intéresser à quelque chose. Réponds… Je t’aime. Est-ce que ce mot ne promet pas l’empire… sur les terres de Rocheuse comme dans les rues de Byzance ? Donne-moi tes ordres !

Ils étaient arrivés devant le roncier fleuri de fleurs pâles, au carrefour des chemins du bois, d’où l’on