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ne sache pas qu’on fasse des dieux sans orgueil. Maintenant, je n’ouvre pas mon temple aux vulgaires et je ne fonde pas de religion dans laquelle je fais payer les trônes selon les catégories de rois : je suis seul, et cela suffit pour n’être ni ridicule ni redoutable. D’ailleurs, je ne comprends pas qu’un dieu puisse s’ennuyer d’être seul ; il a fallu la bêtise profonde des chrétiens pour inventer cette grotesque histoire. Étant dieu, on est tout et on n’a besoin de personne !…(Il y eut un moment de silence. Reutler ajouta d’un ton plus sourd :) Mon petit Éric ! Je me tourmente de tes pieds nus ! Est-ce que tu n’as pas froid, dis ?

Et Reutler se pencha sur l’encolure de son cheval pour essayer de consoler le jeune homme.

Éric pleurait, sa belle tête blonde enfouie dans ses paumes. Il avait lâché les rênes de sa monture et suffoquait. Le poète se réveillait chez lui et faisait taire le libertin. Il n’avait vraiment plus envie de rire ou de torturer. On était deux frères, deux monstres, un, sur les deux, devenait plus beau que l’autre, plus beau que nature et, chose inadmissible, ce n’était pas lui. Très féroce, le grand, mais si bon, si adorable en ses candeurs sinistres.

— Non, je n’ai pas froid aux pieds, bégaya-t-il s’essuyant les yeux d’un geste découragé, mon cœur tremble, voilà tout.

— Douche salutaire, Monsieur de Fertzen, je vous assure qu’il était temps, pour vous qui ne voyez pas de différence entre un incendie et une noce ! Vous preniez feu… sans le savoir, j’imagine. Excusez-moi de ma vivacité à remettre les choses au point. Je ne pouvais pas demeurer lâche devant