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mon bazar oriental. Je serai très digne, très héroïque, très ton frère

Passivement, Reutler descendit de cheval et alla chercher la mule. Elle brillait comme un bijou, un bijou faux, un atroce objet de luxe perverti. Paul l’attendait.

— Rechausse-moi, fit-il impérieux. Bien ! Ne me serre pas le pied ainsi… la plante des pieds de l’idole, c’est sacré, tu sais, surtout quand l’idole est chatouilleuse. Reutler, ajouta-t-il, si au lieu d’un personnage religieusement fort, tu ne représentais qu’un imbécile dans la comédie de notre existence ? Creuse un peu cette idée, mon grand, toi qui aimes l’analyse !

Et il fila. Rentier, anéanti, le regardait fuir.

— Oh ! pensa-t-il, je n’analyse déjà plus rien, puisque je ne suis pas maître de mes gestes ! Quelle canaille ! Il appelle cela de l’esprit… Pourquoi pas de l’innocence ? Nous sommes perdus !

Mais Reutler n’hésita pas à le suivre, au galop, irrésistiblement.

La principale rue du village, la route départementale, était noire de monde, gens inquiets ou curieux venus de tous les coins du pays. L’église incendiée se dressait sur l’un des premiers contreforts de la colline et dominait une masse de maisons pauvres, en chapeaux de pailles, dont les bords retombaient jusqu’au sol avec des allures piteuses. Elle les dominait de tout l’éblouissement de son étole de flammes, et elle n’avait jamais été plus belle. Son clocher, à pointe obtuse, selon la mode franc-comtoise, s’ornait d’une giroyante aigrette d’étincelles, tandis que la sacristie, en arrière, obscurcie